https://www.coreandco.fr/chroniques/phalangst-whiteout-9241.html?fbclid=IwAR2X2WvfEDTGj-rbiJmmI4vYLizi750Rn465NomEf4pDdVc–gzyyzwzhsw
Un schéma minimaliste au piano autour duquel la poussière reste en suspension, dans un rai de lumière figé dans le temps. Même lorsque la tension monte imperceptiblement en puissance et que la voix finit par intervenir, zombique en diable dans son feulement neurasthénique, il règne dans ce tableau de fin du monde consommée qu’il esquisse une sorte de quiétude résignée que ne tenteront pas de troubler les accords de guitare saturés. On pense à ce plan final du 3e épisode de la saison 1 de “The Last of us” sur le cadre dans le cadre, celui de l’écran et celui de la fenêtre, ouverte sur la vie qui souffle délicatement sur les rideaux tel le témoignage de la pudeur s’imposant sur l’amour rendu à son caractère éternel, l’amour qui se cache pour mourir. Poétique de l’hors-champ. Ni ostensiblement sinistre, ni naïvement léger, le titre pose quelques repères pour le voyage qu’il nous propose d’entreprendre à sa suite. Drapé d’un romantisme sombre digne d’une toile de Johann Heinrich Füssli, invoquant moult figures tutélaires comme autant d’incubes fatigués pour mieux s’incliner devant leur héritage, il s’efface pour nous laisser entrevoir le paysage désolé qui s’étend sur l’extension de son ombre : Msieudames, vous venez d’écouter “Whiteout”, de Phal:Angst.
Entendons-nous bien : pas de publicité mensongère, d’emphase trompeuse, de superlatifs fallacieux. Les Autrichiens, qui définissent leur musique comme du post-rock industriel, ne révolutionnent aucun genre. Cela reviendrait à prétendre (et partant, à avouer son pédantisme en la matière) que le jeu de batterie de Igor Cavalera se reconnaît chez Absent in Body alors qu’au contraire, celui-ci sert l’oeuvre, s’efface derrière l’intention, et assure une rythmique solide, précise et chirurgicale mais minimaliste, quasiment robotique, industrielle à la Godflesh. Phal:Angst puisent chez Depeche Mode, Godspeed You! Black Emperor, voire les Swans, mais, s’ils invitent Lustmord, nom associé à des papes de la musique industrielle expérimentale ultime comme Nurse with Wound ou SPK (ainsi qu’au dark folk de Current 93), et Jarboe, voix féminine légendaire des Cygnes, à remixer 2 de leurs chansons, ils restent dans les clous sans chercher (ou à parvenir ?) à explorer ni expérimenter davantage, au risque d’innover. Du moins, est-ce l’impression qu’une 1e écoute de l’album laisse. Car en vérité, le fait qu’il continue à nous habiter, longtemps après avoir rendu sa dernière note au silence, offre un indice sur le fait que l’affaire s’avère plus complexe, ou du moins, plus subtile.
Qu’on ne s’y trompe pas : “Whiteout” relève de la réussite totale. Si “What a time to be alive”, avec son ambiance postapocalyptique baignée dans une synthwave mélancolique dont les recoins font rebondir la ritournelle entêtante à la guitare, sonne comme la fin de toute chose, surtout sur ses dernières secondes noyées dans un drone vrombissant, il ne s’agit là que de l’un des points d’orgue d’un ensemble plus protéiforme dans ses soubresauts. Sans s’agiter dans tous les sens en vain pour attirer l’attention, l’album accorde suffisamment de confiance en son pouvoir évocateur pour créer des projections mentales hautement cinématographiques chez l’auditeur. L’encéphalogramme et le tensiomètre ne varient guère d’un titre à l’autre, mais se chargent de 1001 nuances qui se tapissent dans les arrangements. Le romantisme gothique qui habite chaque déclinaison d’une certaine idée de la désolation résignée confère à l’album un caractère froidement poussiéreux. Ce genre de poussière depuis longtemps déposée sur la surface d’un territoire à jamais immobile. Ce genre de poussière qu’on effleure à peine à chaque pas. Ce genre de poussière en suspension autour des notes du piano du début et qui se rit sans malice de notre futilité.
7,71/10